Mix-Cité Rennes
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L’« affaire Strauss-Kahn » : confusion des genres
vendredi, 20 mai 2011
/ Marion

L’« affaire Strauss-Kahn » :

confusion des genres

Même si nous n’avons pas les éléments nécessaires pour juger si Dominique Strauss-Kahn est coupable ou non, les réactions à son arrestation sont révélatrices d’une grande confusion dans les esprits pour tout ce qui concerne les violences sexuelles. Depuis dimanche, beaucoup s’accordent à décrire DSK comme un « libertin », un « dragueur », ce qui expliquerait son attitude envers la femme de chambre new-yorkaise, qui l’accuse de l’avoir agressée sexuellement et sodomisée de force. Les blogs regorgent de plaisanteries grivoises : il semble que certains soient finalement assez fiers de ce nouveau témoignage de la gaillardise française. Ah, le puritanisme américain !

Mais de quoi parle-t-on ? On oublie un détail d’importance : le consentement ! C’est bien ce qui change tout, entre des relations sexuelles entre adultes d’une part et un viol d’autre part. La liberté sexuelle, le libertinage, n’ont rien en commun avec la violence sexuelle. Le viol n’est pas une relation sexuelle, c’est une humiliation, une domination.

Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, écrivait lors de la nomination de DSK à la tête du FMI, en juillet 2007 : « Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement. Un travers connu des médias, mais dont personne ne parle (on est en France). Or, le FMI est une institution internationale où les mœurs sont anglo-saxonnes. Un geste déplacé, une allusion trop précise, et c’est la curée médiatique (1). »

Un « travers », le harcèlement sexuel ? Non, un délit. Un simple « geste déplacé », le fait de plaquer une femme au sol et de tenter de lui arracher son pantalon ? C’est pourtant ce qu’a raconté Tristane Banon dans une émission de Thierry Ardisson, début 2007. Encore une fois, la tolérance « gauloise » (« personne n’en parle ») s’appuie sur la confusion entre drague et agression sexuelle. Soyons précis-e-s : il ne s’agit pas d’une « affaire de mœurs », comme on le lit ici ou là, mais des lois qui protègent les personnes.

En tant que féministes, nous ne cherchons pas à commenter la sexualité d’une femme ou d’un homme politique, qu’elle soit extra-conjugale ou pas, homosexuelle ou hétérosexuelle, à deux ou en groupe… Vive la liberté sexuelle ! Mais ce qui est en cause n’a rien à voir : le directeur général du FMI n’a pas été arrêté du fait de « sa faiblesse pour les femmes (2) », il est accusé d’un délit grave (agression sexuelle), voire d’un crime (viol) !

Christine Boutin, pour sa part, parle d’un piège. Doit-on comprendre que placer à la portée de Dominique Strauss-Kahn une jeune femme de chambre est un « piège » ? Qu’on sait bien qu’il ne résistera pas à la tentation de toucher au fruit défendu ? Cela suppose des pulsions sexuelles irrépressibles, censées être typiquement masculines. Pourtant, nulle pulsion n’est « irrépressible » chez l’être humain, homme ou femme, et, sauf de rares cas pathologiques, les pulsions sexuelles ne sont pas la cause d’un viol – un violeur peut même ne pas avoir d’érection – ; l’agresseur cherche avant tout à soumettre sa victime.

Pour ceux et celles qui mettent en doute la parole de la victime (bizarrement, cette attitude est systématique quand il s’agit de viol ou d’agression sexuelle, pas pour d’autres crimes), rappelons que porter plainte pour viol s’apparente souvent à une rude épreuve (3), surtout lorsque l’on s’attaque à un « gros poisson » ; qui voudrait subir sans raison les sous-entendus et les insultes qui ont déjà commencé à fuser ? En novembre dernier, lorsque Mix-Cité, Osez le féminisme et le Collectif féministe contre le viol ont lancé une campagne intitulée « La honte doit changer de camp (4) », les réactions ont été quasi-unanimes : bien sûr, c’est scandaleux que tant d’hommes se croient autorisés à violer (75 000 femmes violées par an au minimum) ; c’est incroyable que les victimes n’osent pas porter plainte, les pauvres (seulement 1 victime sur 10 porte plainte). Pourtant, confronté-e-s à la réalité du cas DSK, beaucoup de journalistes, d’hommes ou de femmes politiques oublient ces déclarations de bonnes intentions, plaignant le directeur du FMI, le Parti socialiste ou la France – pas un mot pour la victime, en l’occurrence. Il est vrai qu’elle n’est qu’une femme de chambre ; et ce n’est pas un détail, dans un pays où, il y a à peine un siècle, les domestiques étaient couramment violées par leur patron, puis renvoyées quand elles étaient enceintes.

Pour faire avancer la liberté sexuelle, en France comme outre-Atlantique, il importe de supprimer toute confusion : seul le consentement mutuel entre adultes vaut en matière de relations sexuelles. Le viol est un crime. Et ce, quel que soit le statut social des protagonistes…

Béatrice Gamba, Mix-Cité Paris ; Emmanuelle Piet, Collectif féministe contre le viol

(1) Cité dans “Les dossiers qui plombent la candidature de M. Strauss-Kahn”, LeMonde.fr du 16 mai 2011.

(2) Idem.

(3) Cf. l’excellent dossier de Giulia Fois sur le viol dans Marianne n° 727, avril 2011.

(4) www.contreleviol.fr

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Quelques liens vers des articles qui reprennent ces idées :

L’Express, pour les féministes la victime présumée est trop ignorée

http://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/affaire-dsk-pour-les-feministes-la-victime-presumee-est-trop-ignoree_993543.html

Le JDD, Souvent la culpabilité se retourne contre la victime

http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Affaire-DSK-Souvent-la-culpabilite-se-retourne-contre-la-victime-315333/ ?from=headlines

Libération, Des organisations féministes montent au créneau

http://www.liberation.fr/politiques/01012337899-affaire-dsk-des-organisations-feministes-montent-au-creneau

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Quelques remarques sur le traitement médiatique du harcèlement sexuel en France par le collectif Les mots sont importants :

Dominique Strauss-Kahn n’est pas un « séducteur » :

http://lmsi.net/Dominique-Strauss-Kahn-n-est-pas

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Mix-Cité Paris a réagi aux propos tenus par une partie de la presse et des responsables politiques en France. Ci-dessous des liens, et en pièce jointe l’article paru dans Le Monde car nous ne savons pas combien de temps il restera en libre accès.

Libéblog (notre tribune complète, qu’on a envoyée à l’AFP)

http://observatoire2.blogs.liberation.fr/diversite/2011/05/si-on-ne-peut-plus-violer-tranquillement-les-femmes-de-chambres.html

Le JDD

http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Affaire-DSK-Souvent-la-culpabilite-se-retourne-contre-la-victime-interview-315333/

L’Express.fr et Libé.fr (même article, rédigé par l’AFP)

http://www.liberation.fr/politiques/01012337899-affaire-dsk-des-organisations-feministes-montent-au-creneau

Le Nouvel Obs.fr

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/societe/20110519.OBS3515/troussage-de-domestique-quel-mepris.html

Le Monde.fr qui reprend l’article paru dans Le Monde "papier"

http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2011/05/20/1524815.html

Et même 2 télés :

http://www.itele.fr/emissions/chronique/menard-sans-interdit/video/9803 lien direct vers l’émission, avec Béatrice Gamba comme invitée (9 minutes)

http://www.publicsenat.fr/ JT du 17 mai, 19h, avec Clémence Armand comme invitée